Bacchantes de Céline Minard

71UPcbatzgL« − C’est une très belle cuvée. Il est possible que ce soit mon dernier verre, mais je le trouve magnifique. On devrait toujours boire comme ça. / − Comment ? demande la Bombe. – Je ne sais pas. Conscient. Nu. Dévalisé. » (page 67)

Après un livre de science-fiction (Le Dernier Monde, Denoël, 2007), une épopée sur fond d’arts martiaux (Bastard Battle, Léo Scheer, 2008), un western (Faillir être flingué, Rivages, 2014) et un roman survivaliste (Le Grand Jeu, Rivages, 2016), Céline Minard s’essaie cette fois avec Bacchantes (Rivages, 2019) au récit de (faux) braquage, tout en proposant une transposition de la tragédie éponyme d’Euripide.

Alors qu’un typhon menace la baie de Hong Kong, un trio de braqueuses, − la Clown, la bombe et la Brune (les Ménades) −, s’empare de la cave à vins la plus sécurisée du monde, située à l’intérieur d’anciens bunkers de l’armée britannique et tenue par un ex-diplomate sud-africain nommé Coetzer (Penthée).

Chaque nouveau livre de Céline Minard est un terrain de jeu pour l’autrice lauréate du prix du Livre Inter 2014. Ici, l’écrivaine s’amuse avec le côté « cinématographique » (terme qui sert souvent à qualifier le style creux de certains thrillers), mais dans ce cas précis, en le détournant.

Du « cinéma », Céline Minard ne garde que deux aspects (et jamais l’aspect visuel justement), la notion de hors champ et le montage, jouant à écrire ce qui ne s’écrit pas, ce qu’un scénario de film de braquage aurait laissé de côté, ce qu’un cinéaste n’aurait pas montré à l’écran, les chutes.

Ce qui paraît important aux yeux de l’écrivaine dans ce très bref récit d’à peine plus de cent pages, plus au moins expérimental, bien plus que le texte lui-même, ce sont justement ces blancs, ces vides laissés entre les parties imprimées réparties sur la page, comme s’il revenait au lecteur de les combler. Pour l’autrice, Bacchantes serait « la petite pointe de l’iceberg » [1]. Mais qu’en est-il de la partie immergée ?

Les personnages ne sont que des silhouettes désincarnées, des voix (des masques de la tragédie grecque ?). L’écrivaine ne cache pas que la psychologie ne l’intéresse nullement : pour elle, c’est l’action qui définit les personnages [1]. Mais cette approche béhavioriste, propre au roman noir, ne peut dissimuler une certaine indigence du texte soulignée par quelques rares critiques [2].

S’agirait-il d’un récit de braquage parodique ? L’humour omniprésent dans le texte pourrait le laisser supposer : « − C’est une femme. / − Ou un type qui porte des escarpins. » « − Un romanée-conti de 1969. – Ou une bouteille d’urine matinale, question de point de vue. » (page 11).

Les répliques dignes d’une sitcom américaine fusent. Ne manquent que les rires enregistrés. En lisant Bacchantes, le lecteur peut penser que c’est la forme romanesque elle-même que Céline Minard a pris plaisir à pétrir telle de la pâte à modeler, comme si l’on ne pouvait plus écrire aujourd’hui de romans comme au siècle précédent, comme si la façon de raconter (et pour le lecteur de recevoir) des histoires avait été irrémédiablement modifiée avec le succès des séries télévisées.

Reste la langue elle-même, l’écriture minimaliste de Céline Minard qui selon Nathalie Crom déploierait « des trésors d’hyperréalisme méticuleux » [2]. Sauf que Céline Minard ne vise pas l’hyperréalisme pour l’hyperréalisme comme finalité en soi.

On objectera que l’autrice elle-même parle de « points d’hyperréalisme » à propos de l’utilisation qui lui est propre de mots très précis, d’une certaine technicité du vocabulaire et des lexiques [1], comme autant de marques de fabrique. 

Cependant, lorsque l’écrivaine dit que « les vrais grands auteurs, font tout passer dans la ligne, et [que] c’est dans la ligne que cela doit passer » [3], Céline Minard rappelle la règle absolue, la discipline première de tout écrivain. Mais une véritable esthétique de l’épure vise à ne garder que l’essentiel et non à atteindre la vacuité.

Que reste-t-il d’un roman que l’on aurait entièrement désossé ? Après avoir lu Bacchantes, exercice de style somme toute assez vain, le lecteur répondra, selon la sensibilité qui lui est propre : tout au rien. Nous penchons pour la seconde proposition.

Très prometteur sur le papier, le dernier opus de Céline Minard ne tient pas ses promesses. Tout cela manque cruellement de chair à la dégustation. Nous attendrons donc un meilleur cru pour trinquer à nouveau.

« − C’est une très belle cuvée. Il est possible que ce soit mon dernier verre, mais je le trouve magnifique. On devrait toujours boire comme ça. / − Comment ? demande la Bombe. – Je ne sais pas. Conscient. Nu. Dévalisé. » (p. 67)


Bacchantes de Céline Minard, Rivages, janvier 2019

[1] https://www.nouveau-magazine-litteraire.com/

[2] Citons la critique de Sylvie Tanette parue dans le numéro 1206 du 9 janvier 2019 des Inrockuptibles et la chronique de Philippe Cottet du 28 janvier 2019 : https://leventsombre.org/

[3] https://www.telerama.fr/livres/bacchantes

[4] https://www.vice.com/fr


6 réflexions sur “Bacchantes de Céline Minard

  1. Je n’ai jamais lu Céline Minard, mais ce que tu dis dans ce billet va tout à fait dans le sens des craintes que je nourris à son égard : que reste-t-il de ses textes au-delà de l’exercice de style, qui semble être sa marque de fabrique ?
    Avais-tu lu ses précédents romans ? Avais-tu eu une appréciation différente ? Avaient-ils plus de chair ?

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    1. Votre chronique est très intéressante Emmanuelle. Il y a quelque chose d’abstrait dans l’esthétique de ce roman. Face à une œuvre abstraite et aussi épurée, certains projettent des choses sur l’œuvre et éprouvent des émotions en retour. Pour d’autres, l’œuvre en question les laissera insensibles et froids. Il y a toujours une part de miroir dans n’importe quelle œuvre. Comme le dit l’écrivaine Jakuta Alikavazovic, certaines lectrices et certains lecteurs sont de véritables artistes dans leur lecture d’une œuvre.

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