Le Bruit des tuiles de Thomas Giraud

lebruitdestuiles_0Après Élisée, avant les ruisseaux et les montagnes, et La Ballade silencieuse de Jackson C. Frank, deux « biographies subjectives » publiées aux éditions La Contre Allée, le troisième roman de Thomas Giraud, Le Bruit des tuiles, évoque le philosophe français fouriériste Victor Considerant (1808-1893).

En 1855, des colons français se lancent dans une expérience de vie communautaire au Texas. Mais l’utopie vire rapidement au fiasco. Un climat trop hostile, un sol trop aride et des Américains qui voient d’un mauvais œil cette colonie s’installer trop près de chez eux, auront tôt fait de briser le rêve du phalanstère « La Réunion ».

Thomas Giraud prend quelques libertés avec les faits. Le père de Victor Considerant n’était pas maçon mais professeur de rhétorique, un clin d’œil appuyé à la métaphore filée du bruit des tuiles et à la méfiance de l’auteur à l’endroit du discours, au langage creux de certains idéologues.

Ce dont Considerant fera l’expérience au Texas c’est l’impossibilité de faire correspondre le réel avec ses promesses (le discours). D’où ce travail sur la langue, comme un salutaire revirement poétique, une réappropriation du langage après la dévastation du discours idéologique.

Le langage ne doit pas être un outil au service d’une idéologie, une arme de propagande, semble nous dire l’auteur, ― il doit être un instrument qui permet au lecteur d’entendre cette musique intérieure, ce flux d’émotions et de pensées qui le traversent.

La langue ne doit pas faire le jeu de ces continuels petits ajustements avec le réel. Elle doit en dire la rudesse, la laideur et la douleur, celle de ces hommes qui ont vécu la plus terrible désillusion.

Le Bruit des tuiles est une anti-épopée en 30 chants dans laquelle l’aède Thomas Giraud chante non les exploits mais les désillusions amères de ses anti-héros. Le Bruit des tuiles est un livre tendu comme un fil au-dessus de l’abîme de l’utopie, entièrement porté par une langue, avec son rythme, son énergie, son souffle et sa pulsation.

Dans cette partition en ré mineur rien ne vient briser la respiration première de la phrase, ― on passe du discours indirect au discours direct sans tiret, ni guillemets ou italiques. Tout se fond dans le creuset de la mélodie, cette petite musique que Thomas Giraud entend en lui-même et nous donne à entendre, ― une voix, tenue de la première à la dernière note de ce livre qui se lit à l’oreille, appelant une lecture à haute voix.

Si le texte comprend peu de changement de tonalité ou de rythme, il recèle quelques fulgurances qui l’électrisent, une écume de l’écriture, telle cette phrase : « Quelques pas avec tout ce que le ciel lève de silence, de bleu et d’effarement devant ses yeux. » (page 253)

Paradoxe de l’œuvre que de ne pas nous donner à entendre ce bruit des tuiles, cette dissonance, cette blessure de l’être, mais un chant singulier au diapason d’une vie intérieure où l’émotion et la sensibilité l’emportent sur la raison.


Le Bruit des tuiles de Thomas Giraud, La Contre Allée, août 2019


Laisser un commentaire