Un privé à Tanger d’Emmanuel Hocquard

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Le projet de ce livre : « réunir les éclats convexes de mon histoire en morceaux » (page 11). De fait, Un privé à Tanger n’est pas un roman. C’est à la fois un « mélange », – collection de textes où se mêlent biographie, essai et poésie, et une enquête, – comme la référence au polar contenue dans la titre le laisse deviner.

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Loin de s’effacer, Emmanuel Hocquard cherche donc sa place dans ce livre, – non au centre mais autour, dans les contours de l’«espace-récit de l’écriture » (p. 51), sujet/objet-satellite gravitant autour de la matière en expansion, hors de toute mesure.

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L’écrivain rappelle que tout travail d’écriture s’inscrit dans une temporalité, – ce qu’il y a avant (les souvenirs, tels ceux des lectures à l’école en 1943 p. 23) et ce qui est devant, – ce temps encore « sans référence aux mots » :

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Le matériel biographique se dissout dans l’écriture, l’image du souvenir d’enfance devenant écrit, récit de lecture et d’écriture (« J’apprenais à écrire, je découvrais un monde et ce monde me paraissait aussi menaçant que les lettres rouges de l’alphabet. » p. 38) :

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L’écrit revient, tel un boomerang, à l’image (« à quoi bon le peindre ? Il est très bien comme il est »). Car à quoi bon écrire ? s’interroge le poète.

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Lorsqu’il évoque son livre de lecture courante Claude et Antoinette à la maison forestière Emmanuel Hocquard, poète essentialiste, parle de la découverte du mot forêt :

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La distance qui sépare le signifiant (le mot forêt) du signifié (la représentation mentale du concept de forêt) crée chez le jeune écolier une béance, car le signifiant (qui donc devrait être ici un in-signifiant) ne renvoie à aucun signifié dont l’écolier aurait fait l’expérience.

Cette béance entre la langue et le monde sensible, ces limbes du signifiant hors-champs des représentations où sont moissonnés les mots, ne sont-elles pas le puits auquel tout poète (qui expérimente la « langue-monde ») vient s’abreuver ?

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Le véritable écrivain renouvelle chaque jour l’expérience sensible dans laquelle le monde devient écriture et l’écriture monde (« Le monde est un assemblage de lettres. » p. 40)

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Enfant, il collectionnait des mots-objets :

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Si les mots sont usés, le poète doit travailler sur les ruines du signifiant jusqu’à l’épuisement du son, – jusqu’au silence :

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Un renversement s’opère lorsque l’auteur utilise pour la première fois son nom pour signer l’un de ses textes :

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Au lycée, le monde s’éclaircit pour Emmanuel Hocquard, au fil de ses lectures, qui lui donnent sa cohérence « à travers le réseau de ses représentations » (p.42).

Mais la poésie ne se plie pas à cette loi de la transparence. « Jusque dans leur aspect, les livres de poésie témoignaient d’une tenue différente. L’écriture s’y maintenait pour ainsi dire d’elle-même, sans demander à être éprouvée hors du livre. » (p. 42)

Il faudrait également citer les nombreux poèmes d’Emmanuel Hocquard qui émaillent ce livre, dont voici, en un bref aperçu, une trouée sur ce livre-univers :

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Réflexions passionnantes sur l’écriture, « LA LIGNE CLAIRE » (p. 125 sq), sa conversation avec Claude Royet-Journoud (p. 147 sq), ou encore « L’objet poétique » (p. 177 sq) vaudraient une recension à eux seuls pour les nombreuses perspectives que ces fragments ouvrent au lecteur. J’en retiendrai au moins deux, dont le premier concerne cette notion de déchirure évoquée plus haut :

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Et plus loin :

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L’écriture poétique est essentiellement réflexive – non pas qu’elle donnerait à voir l’image du monde, mais parce qu’elle dit, non l’imparlé, mais l’impensé, dans son expression la moins assujettie, la plus impersonnelle : à travers la poésie, c’est la langue qui parle.

Un privé à Tanger d’Emmanuel Hocquard est un livre indispensable pour tous les amoureux de la littérature.


Un privé à Tanger d’Emmanuel Hocquard, éditions P.O.L., mai 1987, éditions Points, mai 2014.

 


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