L’Héritage des espions de John le Carré par David

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« Vous avez toutes les informations que vous vouliez ?

– Non.

– Je vous envie. »

Exit les fantômes. Un demi-siècle après son apparition, George Smiley est de retour, convoqué pour lever les ombres qui planent encore sur l’opération Windfall – et accessoirement sur l’œuvre de son créateur, John le Carré. C’est un peu Exit Ghost donc mais version espionnage. Lors de la disparition de Philip Roth on s’est souvenu de sa volonté de voir mourir son alter ego Nathan Zuckerman avant lui. On y pense forcément à la lecture de ce livre où l’ombre de Smiley plane sur chaque page. Testament en forme de confession, L’Héritage des espions est là pour nous rappeler que la littérature est un monde réel.

Des hommes et des lieux. La grande réussite de John le Carré est d’avoir créé au fil de son œuvre une véritable comédie humaine de l’espionnage. Comme chez Balzac, tout un monde, peuplé de personnages qui basculent de l’ombre à la lumière et de lieux qui deviennent des acteurs de l’intrigue. Apothéose pour lecteurs attentifs, la lecture de L’Héritage des espions est à ce titre, d’un bonheur sans mélange.

Factotum de Smiley et homme de paille de la Trilogie (La Taupe, Comme un collégien et Les gens de Smiley (1)), c’est Peter Guillam qui raconte cette histoire, à la première personne, en un lamento solitaire sur le métier d’espion. Et nous de revivre les événements sous l’angle nouveau de ce récit. Mais les retrouvailles ne s’arrêtent pas là. Alec Leamas, héros malheureux de L’Espion qui venait du froid, Jim Prideaux – Jimbo pour les intimes – le porte-flingue hongrois spécialisé dans les opérations délicates, mais aussi Control, le patron mutique, et bien d’autres encore. L’Héritage des espions nous ramène au Cirque, centre névralgique du contre-espionnage britannique imaginé par John le Carré mais aussi aux Ecuries, la maison victorienne délabrée du 13 d’Israeli Street, centre clandestin de pilotage de l’opération Windfall.

« Quand la vérité vous rattrape, ne jouez pas les héros, filez. »

Tous les lecteurs de John le Carré le savent, l’art de l’espionnage ne consiste pas à savoir ce que les autres font mais plutôt de leur faire croire qu’on croit ce qu’ils ont tenté de nous faire croire. Suivre ce paradigme (complexe) a permis à David Cornwell – son vrai nom – de tisser une littérature dont la sinuosité est un des attraits. La question de la vérité est rendue à son inanité par la réflexion permanente qu’il mène sur la nature même des certitudes qui conduisent à l’élaboration des vérités officielles. L’esprit critique du lecteur est un ressort constant de cette écriture si particulière, de cette voix qui depuis cinquante ans trace les sillons d’une œuvre toujours plus profonde. À noter, cette sensation que n’offrent que les grands livres, l’impression d’en apprendre plus sur l’auteur que dans son autobiographie (2), preuve que la vérité prend des chemins parfois tortueux jusqu’à la lumière.

En confrontant le passé issu de son œuvre à un présent aux accents plus réels, John le Carré offre  un dernier tour de piste aux angoisses qui fondent sa littérature : la morale, la vérité donc, et les compromissions que l’on est capable d’accepter pour atteindre un but. Ajoutons à cela une  virulente charge pro-européenne et on l’aura compris, John le Carré est avant tout un grand humaniste.

Quant à l’histoire proprement dite, disons qu’elle commence là où tout s’était arrêté.

David Neuman


L’Héritage des espions (A Legacy of Spies) de John le Carré, traduit de l’anglais  (Grande-Bretagne) par Isabelle Perrin, éditions du Seuil, avril 2018.

(1) Ces trois romans sont disponibles en poche aux éditions Points.

(2) Le Tunnel aux pigeons. Histoires de ma vie (The Pigeon Tunnel: A Life of Writing), traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Isabelle Perrin, éditions du Seuil, octobre 2016, pour le grand format, éditions Points, novembre 2017, pour la version poche.

 

 


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