Les Ronces de Cécile Coulon

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«  Je voudrais que la poésie soit aussi naturelle à ceux

qui m’entourent que l’émotion

qui jaillissait cette nuit-là, devant cette place,

avec cette facilité improbable des moments qui n’auraient

pas dû être »

(J’aimerais vous offrir des frites, pages 10-11)

Cécile Coulon est l’autrice de cinq romans publiés aux éditions Viviane Lamy (1) et d’un Petit éloge du running paru en mars dernier aux éditions François Bourin. Les Ronces est son premier recueil de poésies.

L’écrivaine délaisse ici les fleurs, celles du mal du grand Charles, préférant les épines plantées en plein cœur (« j’avais, / à cette époque, / des échardes dans le cœur » Vivre dans les hautes lumières, p. 15), les draps froissés et les aubes grises et sales de l’autre Charles. Il y a du Bukowski (sans les hectolitres de gnôle) dans ces poèmes épineux rassemblés en buissons denses, et ce, dès la première pièce J’aimerais vous offrir des frites, en ouverture au noir sur un monde de solitude. D’emblée, l’écrivaine ancre son art poétique dans le quotidien le plus banal : il fait nuit, la faim l’a poussée dehors, sous la pluie, pour acheter des frites à un vendeur de kebab.

Cécile Coulon entrevoit la beauté jusque dans les gestes du quotidien, là où l’homme ordinaire (figure anonyme souvent évoquée dans ce livre), ne ressent plus aucune émotion.

« je vais marcher longtemps

m’enrouler dans la sieste

et tartiner des scones »

(La Hongrie encore une fois, p. 52)

La trivialité est constitutive de l’écriture-même de la poétesse, une poésie faite de collages où se mêlent culture pop et littérature, recyclant des images d’une grande banalité comme on recycle une bouteille en plastique pour produire une œuvre d’art, des images issues de notre vie quotidienne, pour mieux en exprimer la beauté, non sans humour :

« le temps n’est pas un mouchoir sale

je ne veux pas le jeter »

(Une lionne rouillée, p. 57)

Ou encore :

« un chien attendait

sur la terrasse, j’ai pensé qu’il faisait autant partie du paysage qu’une éponge sur le bord

d’un évier. »

(Mercredi matin, p. 95)

Exprimant le chagrin :

« j’apprendrai à te noyer

dans des verres d’alcools doux

à t’étouffer dans des serviettes de plage

accrochées sur le balcon »

(Une chanson particulière, p. 30)

Étouffer le souvenir de l’être aimé dans ces serviettes qui rappellent les moments de bonheur passés ensemble au bord de mer, instants désormais évanouis, énième histoire d’amour qui finit mal. La figure de la femme aimée est récurrente dans l’œuvre. Plusieurs poèmes, dont Difficile (pp. 60-61), sont adressés à ces amantes qui l’ont quittée : « un poème qui fait mal une fois qu’on l’a compris / oh bien sûr tu le comprendras » (Une lionne rouillée, p. 57).

Toute histoire autobiographique se (ré)écrit à rebours : « ce poème n’est pas pour toi / ce poème c’est toi / des morceaux que je ne veux pas jeter / une version alternative du passé » (La Hongrie encore une fois, p. 53).

Dès lors, ces poèmes sont moins les pièces d’un puzzle qui permettraient de reconstituer l’autoportrait de l’autrice en coureuse de fond (« ces morceaux de moi-même que j’ai du mal à rassembler / ne s’emboîtent pas » Une lionne rouillée, p. 58), que les fragments d’elle-même comme autant de petits cailloux semés sur le chemin de fer qui semble toujours l’éloigner de la demeure familiale, et par métonymie, de son enfance.

Les Ronces constitue un récit initiatique, témoignage des douloureux apprentissages de la perte du foyer familial, de la trahison et de la solitude. Ces poèmes sont traversés de fulgurances, superbes, tels les éclairs de l’orage si souvent évoqué (l’orage a statut de mythème dans la mythologie coulonienne).

Je retiendrai :

« Dans les pires moments et les fins d’après-midi

chaudes, dans les aubes que des chagrins voraces

ont sali, aux rives de lacs gelés comme aux bas

d’immeubles gris »

(Tout va bien, p. 21)

« j’arrivais avec des étoiles boursouflées de petites trahisons » (Vivre dans les hautes lumières, p. 16)

« et je regarde ce paysage un peu gris où soudain ton sourire

m’éclabousse » (Difficile, p. 61)

« ma vie ressemble à ce dimanche

depuis, j’ai retourné ma veste

cent fois j’ai changé d’écriture

mais il se cache encore dans mes manches

l’enfant que je ne suis plus. » (L’enfant que je ne suis plus, p. 68)

« Ceux qui restent sont les tombeaux

Des gens que nous aimons » (Puisque j’ai ton sang, p. 81)

Parlant de ses yeux :

« Au soleil, ils sont bleu clair ; le soir,

quand j’ouvre la fenêtre, ils se couvrent d’un gris

bâtard, lourd, un gris de pelage froid sur des muscles

vifs, un gris d’orage et de peur sans raison. » (Chez moi, p. 91)

« chaque matin nous nous levons

pour tout cela, pour régner quelques minutes

sur des rêves déjà suspendus

par la force des lumières vives

à d’autres branches couchées. » (Mercredi matin, p. 95)

L’univers coulonien est composé à la fois de visions fugitives du monde extérieur et de pièces introspectives. La composition des Ronces laisse peu à peu entrevoir des leitmotive qui reviennent d’un poème à un autre, tissant des liens invisibles entre eux, tout un système de correspondance dans lequel le passé affleure à la surface du présent : la demeure familiale (Devant la maison, L’enfant que je ne suis plus, Le départ, La maison, À vendre), le sang (Chez moi, Puisque j’ai ton sang), l’errance (« oublier qu’il faudra s’en aller / qu’il faut toujours partir » Une lionne rouillée, p. 55 ; « il faudra partir loin / il faudra partir bientôt » Mon amour, p. 74), et plus prosaïquement, mais néanmoins très présents, la faim (« je veux bien mourir de faim dans tes orages » Bientôt, Eyzahut, p. 39 ; « la faim ça occupe la tête et ça empêche de pleurer » Une fois par jour, p. 42), ou encore l’image des draps (Les herbes sauvages, Vivre dans les hautes lumières, Une chanson particulière, Juste à l’endroit où tu poses ta main, Mon amour).

L’apaisement vient doucement, à la fin du recueil, comme une neige, dans les derniers poèmes Une lueur inattendue, Eyzahut et Ma France où sont repris les principaux leitmotive, la faim, l’orage, les draps…

Ces poèmes sont autant de fragments du portrait de la poétesse qui entreprend dans ce livre de « rassembler les morceaux de soi-même / qu’on voudrait pourtant laisser / à quelqu’un d’autre que soi » (Une lionne rouillée, p. 55). Les ronces, ce sont ces griffures à l’encre incrustées dans la chair de la feuille blanche. La poésie est faite du blanc de la page vierge, comme la musique est faite de silence. Au lecteur de combler les vides laissés au fil des pages en écho à sa propre histoire.

« il n’y a pas de plus grand

malheur sur terre

que celui qui n’a pas de poème écrit

pour l’étreindre, le consoler, le contenir »

(Le monde insupportable, p. 116)


Les Ronces de Cécile Coulon, éditions Le Castor Astral, mai 2018.

(1) Méfiez-vous des enfants sages (2010), Le Roi n’a pas sommeil (2012, couronné Prix Mauvais Genres France Culture / Le Nouvel Observateur la même année), Le Rire du grand blessé (2013), Le Cœur du Pélican (2015) et Trois saisons d’orage, Prix des Libraires 2017. Ces cinq titres sont également disponibles en format poche chez Points.

 


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