« Je suis un auteur politique », affirme Frédéric Paulin. Né en 1972 à Bussy-Saint-Georges, en Seine et-Marne, cet écrivain qui voulait être dessinateur de bandes-dessinées quand il était enfant, vit depuis plus de vingt ans à Rennes. Encouragé par sa compagne qui lit ses premiers manuscrits, il compte désormais à son actif plus d’une dizaine de livres parus depuis 2009, sans compter quelques romans de gare publiés sous pseudonyme. Mais c’est véritablement avec sa trilogie amorcée en 2018 avec la parution de l’excellent La Guerre est une ruse (Agullo, 2018) que le talent de l’écrivain rennais prend pleinement sa mesure.
Non, évidemment il ne s’agissait pas d’une provocation. Citer cette phrase et l’attribuer à Mohamed Merah en incipit était une façon de signifier qu’il se trompait, qu’il dévoyait le Coran et les hadiths et le Sahîh d’Al-Bukhârî. Mais je ne suis pas un spécialiste du Coran et je ne veux pas m’engager sur ce terrain. Quoi qu’il en soit je n’ai jamais eu l’intention de glorifier la parole d’un Merah ou d’un djihadiste, ce n’était pas mon intention. Je suis clair avec ça, d’ailleurs de nombreux lecteurs m’ont dit qu’à la lecture du livre, il ne comprenait pas qu’on puisse me considérer comme un zélateur ou un provocateur à cause de ce titre. D’ailleurs, à bien y réfléchir, toute guerre est une ruse, un mensonge, que l’on soit un terroriste ou un général d’une armée constituée.
Mes premiers romans sont écrits au passé. Depuis quatre ou cinq livres, j’écris en effet au présent. Je trouve que c’est un temps plus efficace, qui permet au lecteur de voir les images en temps réel. Peut-être aussi, ça le pousse à s’impliquer davantage dans le récit, et dans la thèse que je développe. Peut-être. Mais c’est surtout un temps avec lequel je suis à l’aise.
Je ne dis pas que le style ne m’intéresse pas, je dis que j’ai du mal à saisir mon style, plus encore à le théoriser. Je raconte souvent que je ne suis pas un styliste mais avec le succès de ces deux romans, je croise de plus en plus de lecteurs qui me parlent de mon style, qui me disent apprécier mon style. Il faudra bien que j’accepte d’avoir un style, moi aussi ! Et oui, je raconte des histoires, je construits des histoires. Quant à l’intérêt d’un roman, on peut en discuter longtemps. Pour moi, avant toute chose, le roman doit donner à voir le monde, et s’il est bon il doit proposer une grille de lecture de ce monde aux lecteurs. J’écris pour exprimer des idées, dans le meilleur des cas pour révéler des choses cachées ou refoulées, et plus généralement pour activer la mémoire du lecteur. Mais il est certain qu’un bon roman doit avant tout raconter une histoire, faire vivre des personnages, donc le style est important. Sinon, on tombe dans le document, la thèse universitaire, ça peut être pesant.
Lorsque Lionel Dumont s’exprime en prison, en Bosnie, j’ai repris les réponses qu’il a données à Jean Hatzfeld, dans Libération, en 1997. Sinon, je ne le fais jamais parler directement. Dans mes romans, lorsque je fais parler un personnage existant ou ayant existé, je m’appuie toujours sur des enregistrements ou des interviews.
Moi, je postule que les lecteurs sont intelligents. Sinon, je n’écrirais pas les livres que j’écris. C’est à eux de faire la part entre le réel et le fictif. Maintenant, la diversité des personnages permet la diversité de la perspective. Ça permet aussi la multiplicité des points de vue sur une période complexe. Parce que je n’ai pas de réponses à beaucoup de questions que soulèvent ces trente années qui courent du début des années quatre-vingt-dix à nos jours. Je pose des questions. Parfois mes personnages y répondent, souvent ils restent sans réponse. Comme moi.
La langue et l’univers d’un auteur évolue en permanence. J’espère en tout cas que c’est mon cas. Finalement un auteur ou une autrice ne sont rien de plus qu’un homme ou une femme qui écrivent ce qu’ils perçoivent du monde. J’espère ainsi que toutes les femmes et tous les hommes, même s’ils n’écrivent pas, s’améliorent en vieillissant. Bon, là, je n’en suis vraiment pas certain… mais on peut l’espérer. En tout cas, plus j’écris et plus j’ai confiance en mon écriture, plus je me sens légitime à écrire.
Lorsque j’écris sous pseudonyme (moi je ne suis pas « nègre » ou rewriter, je fais partie d’un pool d’auteurs qui écrivent un épisode d’une série chacun à leur tour), j’essaye de ne pas me foutre de la gueule du lecteur. Certes, je me documente moins, j’ai moins de temps pour écrire le texte, mais je m’efforce de ne pas sombrer dans la facilité. Ça peut être vu comme un entraînement, ou plutôt comme un match de gala, qui ne compte pas pour le championnat, mais lors duquel il faut combler le public par un beau jeu.
Mes précédents livres qui ne sont pas toujours aussi bons que j’aimerais qu’ils soient, ont le mérite d’avoir fait de moi un écrivain. Ce sont des pierres de l’édifice sur lequel je m’appuie désormais (la légitimité à écrire, dont je parlais tout à l’heure). Le livre le plus difficile à écrire est toujours le dernier, celui qu’on est en train d’écrire. C’est peut-être cette crainte de ne pas trouver son public. Depuis que La Guerre est une ruse a connu ce succès, je ressens cette pression. Mais franchement, c’est du stress efficace, qui motive, qui pousse à se dépasser. Le lien qui unirait tous mes livres, c’est la responsabilité de la France dans le monde tel qu’il est devenu. Il y a sans doute aussi des liens plus enfouis (pour ne pas dire plus psychanalytiques…) : les relations père-fils/fille, les fantômes du passé qui empêchent d’agir normalement au présent, la violence qui peut éclater à tout moment, la peur de la mort. Enfin, un écrivain est un homme comme un autre, il traîne ses casseroles.
La responsabilité des politiques est importantes évidemment, je ne vais pas entrer dans un name dropping sans fin sur qui a fait quoi. Mais j’ai peu de sympathie pour ceux qui dirigent notre pays depuis… 1972 (avant je n’étais pas là). Mais cette responsabilité est bien souvent partagée avec les citoyens lambda. On ne fait pas la guerre sans soldats, on ne fait pas un génocide à la machette sans des mains pour les tenir. Là, on est dans des situations particulièrement critiques. Mais refuser de lire, de s’instruire, préférer regarder la télévision ou se perdre toute la journée dans les réseaux sociaux, au prétexte que le monde est trop compliqué, dans la vraie vie, c’est déjà faire acte de complicité. Vous parlez d’intégrisme religieux mais tout intégrisme qui apparaît bénéficie d’une forme de lâcheté ou d’un refus de voir, au début.
Oui, je considère que la littérature peut être (encore) engagée. Moi, j’écris pour transmettre des idées. C’est peut-être l’avantage du roman noir de pouvoir être un genre littéraire armé, engagé. L’influence de l’écrivain sur l’opinion publique est peut-être moins évidente qu’il y a quelques décennies. L’expertise d’un Cyril Hanouna ou d’un Paul Pogba sur le djihadisme aura peut-être plus d’audience que celle d’un Frédéric Paulin, c’est de l’ordre du possible. Mais je n’ai jamais su tirer dans un ballon ou faire rire en glissant des nouilles dans le slip de mon voisin. Donc je continue à écrire.