![L'Obs2[1]](https://lesimposteurs.blog/wp-content/uploads/2018/10/lobs21.jpeg?w=581&h=388)
En un récit bref, dépouillé, d’une rare intensité, interprété avec virtuosité par une brillante styliste de la langue française, Pauline Delabroy-Allard prouve, avec ce sublime premier roman, qu’elle a l’étoffe d’une grande écrivaine [1].
Ces poèmes constituent plusieurs petits recueils. L’un d’entre eux est plus précieux à mes yeux, il est agrémenté de photographies. Ce ne sont pas des pas de côté, ce sont des accompagnements à l’écriture romanesque, tout comme peuvent l’être mes courts-métrages, mes photographies, mes journaux. Tout va dans le même sens, il me semble. Les différents médiums me permettent de raconter les mêmes choses, parfois même au mot près. Mais ne raconte-t-on pas toujours la même histoire ?
Le temps et l’espace. Je le disais, il me faut, pour écrire un texte long, énormément de temps devant moi et surtout un espace qui n’est pas le mien, qui n’est pas celui de la vie quotidienne. Il m’est impossible d’écrire chez moi. Pour les formes plus brèves, il m’arrive d’écrire coincée dans les transports en commun, ou en voyage, et même chez moi. C’est ce qui me plaît énormément dans l’écriture poétique, c’est cette légèreté qu’il peut y avoir en moi à ce moment-là : pas besoin du cérémonial dont j’ai besoin pour l’écriture longue.
En quelque sorte. Il me faut du temps libre devant moi, beaucoup. Et puis un horizon libre, physiquement je veux dire, le mieux étant les endroits quasi vides. J’aimerais pouvoir écrire toujours dans un endroit où la vie matérielle n’a pas ou peu de prise, où la vie est déchargée d’un coup de ses contraintes quotidiennes. En attendant d’avoir la chambre de bonne dont je rêve, j’écris chez des amis. Les journées, pour l’écriture de Ça raconte Sarah, se passaient ainsi : je me réveille tôt, j’écris un poème d’échauffement, j’écris quelques mots ou quelques pages sans relire les lignes écrites la veille, je vais à la piscine nager un kilomètre, je déjeune, je fais la sieste, j’écris à nouveau quelques heures l’après-midi. Il me faut énormément dormir quand j’écris, c’est très important d’avoir un bon lit dans ces moments-là.
De mon côté, il est vrai que j’ai écrit quelques chroniques pour En attendant Nadeau, une revue littéraire en ligne que je trouve importante dans le paysage des journaux littéraires. C’est une activité qui me plaît énormément en ce qu’elle me force à regarder la petite fabrique des textes. En cela, l’exercice de la critique littéraire rejoint plutôt, pour moi, ce que j’ai aimé dans mes études de lettres, c’est à dire la dissection très précise des textes, le petit laboratoire de l’écriture mis à nu. J’ai arrêté les études de cinéma au moment où décortiquer les films m’ôtait toute magie et toute émotion devant les images mais il ne s’est jamais, bizarrement, produit la même chose pour les lettres.



Comme un rapport amoureux. Chaque chose a sa vie propre, les mots et les photographies, mais lorsque les deux se mêlent, alors… ! Une troisième vie commence, un troisième biais, qui est celui de l’écriture. Il me semble que mes photographies et mon journal quotidien existent pour sauver ce qui peut l’être, c’est une obsession très personnelle de garder trace, de conjurer la mort de cette manière. L’écriture me permet d’allier les deux, et d’aller plus loin encore, de pouvoir essayer de toucher du doigt ce qu’il y a sous la couche première de la réalité. D’attraper les fantômes, de raconter ce qu’on ne peut pas raconter, de distordre le temps, de capturer des moments infimes ou de passer, a contrario, à pas de géant au-dessus de grands blocs temporels. De me jouer de la vie et de ma maniaquerie de tout consigner en faisant voler l’espace-temps en éclats.
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