
Pour moi cela n’a aucune importance. Je suis les quatre. (Rires.) Écrivaine, écrivain, autrice, auteur. Il y a plusieurs choses : quand on écrit on a cette faculté merveilleuse d’être plusieurs personnes en même temps. Et l’autre chose, c’est que la langue évolue et qu’elle évoluera dans le sens des autrice et écrivaine. Cela se fera. Moi, en attendant, je prends tout. Cela ne me gêne pas que cela évolue dans ce sens. Finalement, la langue finit toujours pas coller au réel.

Je pense que c’est lié à quelque chose d’assez indécidable, comme l’état dans lequel on est au moment où on écrit. C’est tout bête mais on fait ça avec notre chair. C’est très physique l’écriture. Il y a des questions d’énergie, de moment, d’humeur. Il y a le monde autour qui peut aussi intervenir. Mais j’ai toujours plusieurs projets en même temps. Là par exemple je suis en train d’écrire un roman et j’ai commencé une pièce de théâtre. En ce moment c’est le roman qui prend le pas mais peut-être que j’y reviendrai.
J’aurais tendance à dire que cela dépend du livre. Il y a des écrivains et notamment des poètes qui sont traversés par le monde et qui restituent le monde à travers leur être à eux. Je pense par exemple à Genet qui est un de mes écrivains favoris. Si vous l’effacez de ses récits il n’y a plus d’œuvre. Mais je crois qu’Emmanuel Hocquard veut parler d’autre chose. Il veut parler des écrivains de fiction romanesque. J’aime beaucoup ce terme de « dégraissage ». Je n’aime pas les livres bavards.
La lecture, c’est une sorte d’intimité de l’écriture. Je pense qu’il n’y a pas d’écrivain digne de ce nom qui ne soit un grand lecteur. J’ai beaucoup de mal à concevoir qu’on puisse être écrivain sans avoir lu et s’être nourri de l’œuvre des autres. Ça c’est très important. Donc c’est le passé qui fait que l’écriture va sédimenter comme les strates géologiques. Et parfois on ne s’en rend pas compte, puis on relit et on voit à quel point ça nous a formaté comme un logiciel.
Et vous savez, on dit souvent que les œuvres saisissent l’air du temps. Je ne crois pas à ça : je crois qu’elles annoncent l’air du temps. On a une sensibilité qui fait que si on réussit (parce que parfois on échoue) on saisit quelque chose du présent et ça annonce l’avenir.
Je pense que c’était plus profond. Benoît Peeters a été le déclencheur de quelque chose qu’il a senti, qui bougeait. J’avais beaucoup trop de respect pour la littérature pour oser écrire. J’étais confite en dévotion. (Rires.) Quand même, j’avais le goût de l’écriture, déjà, j’écrivais des petites choses pour moi. Mais j’avais tendance à me dissimuler derrière les travaux universitaires. C’était pas mal, ça faisait un personnage social acceptable, et surtout une écriture très codifiée. J’étais un peu cachée derrière ça.
C’est lié à l’écriture de ce livre. Un peu de vie dans la mienne est un roman à la première personne. Le narrateur est un personnage récurrent chez moi. Il s’appelle Paul. On va le retrouver dans La Désertion. C’est un homme un peu étrange qui vit dans le passé. Lui il n’a pas été traversé par le monde actuel ! (Rires.)
C’est une commande du Mucem. Genet a un lien très fort avec la Méditerranée. Il est enterré à Larache au Maroc. Il a servi dans l’armée coloniale dans les années 30. Il a toujours regardé du côté du Sud. Il y avait cette thématique chez lui. Et donc Jean-François Chougnet [président du Mucem] nous a demandé à Albert qui est le plus grand spécialiste de Genet (en plus d’être un homme délicieux) et à moi de faire cette exposition. Nous avons fait cette expo sous le signe de l’Homme qui marche [d’Alberto Giacometti]. L’œuvre de Genet marche vers le Sud.
Une réflexion sur “Entretien avec Emmanuelle Lambert”