Parmi les livres qui m’ont constituée en tant que lectrice, le premier, puisqu’il faut en trouver quelques-uns, m’a surtout appris la liberté, au sens de ne jamais céder à la tyrannie des phrases, celles canoniques, La splendeur du Portugal, de Lobo Antunes, roman composé de trois grandes phrases, qui sont en fait trois parties faisant alterner deux voix narratives, à deux époques différentes, la voix de la mère et de son fils, en écho bien des années, 1994, et des erreurs plus tard, à la solitude de la mère, 1975, restée en Afrique, trois phrases où le discours (dialogues) se confond au récit, le compose – les phrases accompagnent et décrivent ce qui est énoncé dans le discours, soulignent l’invraisemblance ou la cohérence du propos tenu – car ce qui est en jeu, et cela dès le début, c’est la question de la Culpabilité et du Temps, le temps qu’il a fallu pour que cette culpabilité qui pèse sur le fils advienne à sa propre conscience – le discours (dialogues) se confond au récit et le compose, sans qu’il n’y ait aucune séparation du discours au récit (les deux points, les guillemets, la terrifiante et classique incise « dit-il », ou ses variantes plus comiques « rétorqua-t-il », « suffoqua-t-il » ou « blême-t-il » : le discours tel que distinct et visible dans le texte) dans un mouvement parfait et fluide, comme pour mieux rendre compte du réel à mesure que le discours se produit et fait naître une parole, et montrer un corps dans un espace physique, l’Angola, le Portugal, ou mental, surtout mental dans le cas de Lobo Antunes et de ce texte, traversé par des affects, infirmant ou confirmant le discours, de culpabilité tentant de se trouver des justifications, des raisons, une gestuelle, la surgissement d’un souvenir, l’intervention d’une voix intérieure, en surplomb, qui livre le commentaire de la pensée ou parole en train de se faire.
2 réflexions sur “Un amour de Lobo Antunes par Eve Guerra”